Ce que je pense est que les élections constituent un volet important de la gouvernance politique, car elles permettent à la population de choisir des dirigeants compétents capables de contribuer au développement du pays. En République Démocratique du Congo, les élections sont ouvertes à tous ceux qui répondent aux conditions décrites dans la loi électorale, et sont censées se dérouler tous les cinq ans. Elles ont permis aux Congolais de choisir plusieurs fois le président de la République ainsi que les députés nationaux et provinciaux. En principe, ce processus devrait également s’étendre aux conseillers municipaux et aux représentants des localités. Cependant, faute essentiellement de volonté politique, les élections ne se sont jamais étendues à ce niveau et risquent de ne jamais se réaliser. En l’absence d’élections, les dirigeants s’arrogent subtilement le pouvoir du peuple et nomment des bourgmestres ainsi que des chefs de localités qui leur sont favorables, dans le but de mieux contrôler l’appareil étatique à la base. Ils évoquent souvent le manque de moyens financiers pour masquer leurs véritables motivations politiques.
Ce que je pense est que le processus électoral en cours est entaché de nombreuses irrégularités qui ne peuvent pas produire des résultats acceptables par tous. Bien que la loi électorale ait été votée par les deux chambres du Parlement, elle n’a pas intégré toutes les propositions de l’opposition. L’élection présidentielle se déroule toujours en un seul tour, plutôt qu’en deux tours comme proposé par l’opposition. La composition de la Commission électorale indépendante (CENI) chargée d’organiser le processus électoral n’a pas été conforme aux textes qui la régissent. Les représentants des deux principales églises du pays, l’église catholique et protestante, se sont retirés du processus de composition de la CENI en raison d’irrégularités flagrantes. Le président de la CENI a été pratiquement imposé à son poste par le pouvoir politique en place. Le plus grand groupement politique de l’opposition, le Front Commun pour le Congo (FCC) du Président honoraire Joseph Kabila Kabange, s’est retiré du processus. Pour cette structure, le processus est totalement irrégulier. Elle réclame, comme l’ensemble de l’opposition, que la CENI soit recomposée. Les mêmes préoccupations concernent la composition actuelle de la Cour constitutionnelle, chargée notamment de valider les résultats des élections qui doivent être proclamés par la CENI. Ici encore, les membres de la Haute Cour ont été nommés en violation flagrante de la Constitution et d’autres textes légaux en la matière. De plus, la majorité des membres nommés sont proches du pouvoir politique et obéissent souvent aux injonctions de ce dernier. Cette dépendance du pouvoir judiciaire a été à l’origine d’un scandale juridique qui a discrédité la plus haute juridiction du pays, il y a trois mois. En effet, en l’espace d’une année, cette Cour a émis deux arrêts contradictoires sur la même matière sans aucun élément nouveau. En l’occurrence, la Cour s’est déclarée compétente en novembre 2022 pour juger un ancien Premier ministre, alors qu’elle s’était déclarée incompétente une année auparavant. Entre les deux décisions, la majorité des juges est restée la même, en dépit du fait que la Cour dispose d’un nouveau juge président davantage pro-pouvoir, le précédent ayant été évincé pour avoir dit le bon droit. Que ferait-on s’il advenait que la Cour émette deux arrêts contradictoires pour l’élection d’un président de la République ? Par ailleurs, le processus d’enrôlement des électeurs, qui a débuté il y a près de deux mois à travers le pays, souffre de nombreuses insuffisances telles que des pannes fréquentes de machines, des coupures d’électricité dans certains endroits empêchant le fonctionnement des machines, un nombre insuffisant de machines par rapport au nombre de personnes à enrôler, une faible qualité des cartes imprimées, un délai d’enrôlement insuffisant, etc.
Ce que je pense est que le processus électoral actuellement mené par la CENI n’inspire pas la confiance d’une grande partie de la population, et encore moins des différents acteurs politiques, en particulier ceux de l’opposition. Les deux principales églises du pays, catholique et protestante, sont également très préoccupées. Elles ont vivement critiqué la découverte de certains équipements de vote, tels que des fiches et des cartes d’électeurs, dans le véhicule accidenté d’un député national appartenant à l’Union sacrée, un regroupement politique soutenant le président de la République. On craint que la situation catastrophique qui s’est produite en décembre 2018 à la suite des élections présidentielle et législatives ne se reproduise. En effet, une bonne partie des personnes proclamées «vainqueurs» des élections n’ont pas été effectivement élues. En un mot, les résultats proclamés par la CENI et confirmés par la Cour constitutionnelle n’ont pas été totalement conformes aux résultats des urnes. Cette situation est préjudiciable à la démocratie et peut entraîner des troubles sociaux si elle se reproduit en décembre 2023. En effet, il est peu probable que la population demeure indifférente à un tel résultat, contrairement à ce qui s’est passé en décembre 2018. L’accalmie précédente était justifiée notamment par le fait que la population avait obtenu le changement du régime politique qu’elle cherchait à tout prix. Par contre, si en décembre 2023 la population n’obtient pas le changement qu’elle escompte à l’issue du vote, sa réaction risque d’être imprévisible. D’où l’importance et l’urgence pour le gouvernement de prendre des actions devant rétablir la crédibilité du processus électoral en cours. La CENI et la Cour constitutionnelle méritent d’être recomposées conformément aux lois du pays. L’opération d’enrôlement en cours d’exécution nécessite d’être recrédibilisée. Si toutes ces recommandations ne sont pas prises en compte, les élections, si elles ont lieu en décembre 2023, n’atteindront nullement leur objectif, celui de permettre à la population de se choisir des dirigeants qu’elle veut et mérite. Le pouvoir aura alors, comme en 2018, dilapidé 500 à 600 millions de dollars américains qui auraient dû servir à la construction des infrastructures de plusieurs natures dont le pays a cruellement besoin pour son développement. Enfin, il est important de souligner que le manque de dirigeants de qualité impacte négativement et directement tous les compartiments de la vie nationale d’un pays. Des élections non crédibles hypothèquent donc l’avenir de tout un pays.