Ce que je pense est que la gouvernance des dirigeants civils africains élus est remise en cause. Il s’observe depuis quelques années le retour des militaires au pouvoir comme Présidents de la République. C’est le cas notamment au Mali, Burkina Faso et Niger, trois pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le Mali a connu, en moins d’une année, deux coups d’Etat opérés successivement par le colonel Assimi Goïta. Le premier intervenu le 18 août 2020 renversant le président élu Ibrahim Boubakar Keita, dit « IBK » ; le second intervenu le 24 mai 2021 renversant le président de la Transition monsieur Bah N’Daw. Le Burkina Faso a connu aussi deux coups d’Etat en huit mois. Le premier opéré le 24 janvier 2022 par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba renversant le président élu Rock Kaboré ; le second effectué par Ibrahim Traoré le 30 septembre de la même année mettant fin aux fonctions d’un prédécesseur putschiste militaire. Le Niger n’a connu récemment qu’un seul coup d’Etat opéré le 26 juillet dernier par le général Abdourahamane Tchiani mettant fin aux fonctions du président élu Mohamed Bazoum. Toujours en Afrique de l’Ouest, un autre coup d’Etat opéré le 5 septembre 2021 par le lieutenant-colonel Mamadi Ndoubouya a renversé le président élu Alpha Condé, octogénaire. L’Afrique centrale n’est pas épargnée. Au Soudan, c’est le 25 octobre 2021 que le général Abdel Fattah Al-Burhane a pris le pouvoir en reversant les autorités civiles de transition installées depuis 2019 après la chute d’Omar el-Bechir qui a régné pendant près de 30 ans. Depuis le 15 avril de cette année, le Soudan est le théâtre des affrontements sanglants entre deux factions militaires ayant été à l’origine du putsch d’octobre 2021. Au Gabon, Ali Bongo, fraichement élu, a été débarqué du pouvoir le 30 août dernier par le général Brice Oligui Nguema. Plusieurs raisons sont avancées par les putschistes militaires pour justifier le coup de force. Pour les trois premiers pays, il s’agit principalement de mettre fin aux régimes politiques incapables de garantir la paix et la sécurité face aux mouvements djihadistes qui occupent des larges territoires de ces pays et y sèment la terreur. Pour la Guinée et le Gabon, c’est pour mettre fin aux régimes politiques qui se maintiennent au pouvoir en violation de la constitution et des lois du pays sans pourtant garantir des progrès économiques considérables pouvant réduire significativement la pauvreté. Le président Alpha Condé avait réalisé deux mandats de cinq ans et était à son troisième après avoir modifié la Constitution. Le président gabonais venait de passer 14 ans au pouvoir après les 41 ans de son père Omar Bongo à la tête du même pays (1967-2009). Face à ce nouveau mode d’acquisition du pouvoir par la force, d’aucuns veulent savoir davantage sur le phénomène « coup d’Etat ».
Ce que je pense est que l’histoire des coups d’Etat est aussi vieille que le monde. En effet, 2.340 avant Jésus Christ, le ministre Sargon avait renversé par un coup d’Etat le roi Ur-Zababa pour fonder l’empire akkadien en Mésopotamie. En Egypte, 399 avant Jésus Christ, le général Néphéritès avait renversé le pharaon Amyrtée de la XXVIIIè dynastie. En Chine, 249 après Jésus Christ, Sima Yi a éliminé Cao Shuang et s’est accaparé du pouvoir. En 1610, les boyards de Russie ont renversé Vassili IV et proclamé Ladislas IV. Plus près de nous, au vingtième siècle, Benito Mussolini a renversé Victor-Emmanuel III d’Italie le 27 octobre 1922. En Irak, le roi Fayçal II a été renversé le 14 juillet 1958 par le militaire Abdul Karim Qasim. Au Pakistan, le chef de l’armée Muhamad Ayub Khan a renversé le 27 octobre 1958 le président Iskander Mirza. Au Cuba, Fulgencio Batista a été renversé en 1959 par Fidel Castro. En Corée du Sud, Yun Po-Sun a été renversé en 1961 par le général Park Chung-hee. Au Togo, Sylvanus Olympioa été renversé par Gnassingbé Eyadema le 13 janvier 1963. En Algérie, Ahmed Ben Bella a été chassé du pouvoir par le colonel Houari Boumédiene le 19 juin 1965. Au Zaïre, Joseph Kasavubu a été renversé le 24 novembre 1965 par le colonel Joseph Mobutu. Comme on peut le constater, la liste est longue et aucun continent n’a été épargné par les coups d’Etat. Et de manière générale, ce sont les militaires qui prennent le pouvoir. La question que l’on peut se poser est celle de savoir si les militaires ont les compétences requises pour diriger les pays afin de garantir non seulement la paix et la sécurité mais aussi le progrès socio-économique nécessaire.
Ce que je pense est que certains régimes militaires ont réussi, d’autres ont totalement échoué. Le régime militaire du général Park de la Corée du Sud est un des exemples qui ont parfaitement réussi. Par contre, le régime militaire du lieutenant-colonel Mobutu Sese Seko de la RDC est un des cas qui ont lamentablement échoué. En effet, en 1960, la RDC et la Corée du Sud avaient des PIB par habitant relativement similaires. Durant cette période, les militaires Mobutu Sese Seko pour la RDC et Park Chung-hee pour la Corée du Sud ont joué un rôle déterminant sur le développement de ces deux pays, avec des réformes structurelles d’envergure, bien que de natures très différentes. Le Président Mobutu a pris le pouvoir en RDC en 1965 mais, par la suite, il a malheureusement établi un régime autoritaire qui a conduit à une mauvaise gestion économique, à une stagnation économique, puis à une crise économique aggravée par la corruption et l’instabilité politique. En parallèle, en Corée du Sud, le général Park a pris le pouvoir en 1961 et a mis en place un régime autoritaire mais accompagné d’une série cohérente des politiques de développement, notamment dans le secteur de l’éducation, de la technologie et de l’innovation, des exportations et de l’industrialisation. Cette distinction fondamentale des politiques économiques peut expliquer une grande partie des destins contrastés suivis par les économies de la RDC et de la Corée du Sud respectivement. Certes, Mobutu et Park étaient des militaires, cependant, le premier a mal dirigé et gouverné, ce qui a nui au développement de la RDC devenue l’un des pays les plus pauvres du monde. La RDC occupe le rang de la 164ème économie du monde. Alors que le second a mis en place des politiques économiques cohérentes qui ont favorisé la croissance économique en Corée du Sud devenue la dixième économie du monde. Au regard de ce qui précède, il se dégage que la différence entre les résultats socio-économiques obtenus par les deux militaires est justifiée par la qualité du leadership et de gouvernance.
Ce que je pense est qu’il est recommandable que le processus démocratique de désignation des présidents de la République soit respecté afin d’éviter la déception et l’énervement de la population et de militaires. En un mot, ce processus ne doit pas se transformer en coups d’Etat civils opérés en marge des Constitutions et lois du pays pour maintenir au pouvoir, sur base des simulacres d’élections, des civils non élus et parfois détestés par la population. Par ailleurs, les dirigeants démocratiquement élus doivent réellement s’occuper des questions de paix et de sécurité ainsi que de la création de richesses au profit de la majorité des citoyens. A défaut, cela conduira au retour des militaires qui disposent des forces armées non pas pour démettre les Présidents de la République, mais plutôt pour défendre l’intégrité des pays et y garantir la paix et la sécurité. C’est vrai que par le passé, certains régimes militaires ont favorisé le développement de leurs pays respectifs. Mais, d’autres régimes militaires ont détruit des économies entières de pays sous leurs responsabilités. L’idéal serait de laisser les civils réellement élus et compétents s’occuper de la gestion économique et les militaires s’occuper de la question de la défense et de sécurité des pays. En conclusion, il sied de promouvoir un leadership et une gouvernance de qualité à la tête des pays africains pour se prémunir des coups d’Etat.
Kinshasa, le 20 septembre 2023