Ce que je pense est qu’il est anormal qu’en moins de deux mois, un sénateur puisse faire l’objet de quatre réquisitoires d’un seul procureur général près la Cour constitutionnelle. Le premier date du 28 avril et demande à l’assemblée nationale et au sénat d’autoriser la levée des immunités de deux députés nationaux et deux sénateurs, dont moi-même. Dans sa requête, le procureur recommande qu’en ce qui me concerne, la procédure se fasse par le congrès. L’objet principal est d’enquêter sur le présumé détournement des fonds publics investis dans les activités du parc agro-industriel de Bukangalonzo lancées alors que j’étais premier ministre entre 2012 et 2016. La requête se fonde sur les conclusions du rapport de l’Inspection générale des finances qui, à ma demande, a enquêté sur la gestion financière du projet suscité. Ce rapport, truffé de mensonges et contre-vérités, me paraît partial. Si la requête du procureur général d’enquêter sur le présumé détournement reste pertinent, la procédure de levée des immunités sollicitée par ce dernier me concernant pose problème. Pourquoi le faire par le congrès, c’est-à-dire au cours d’une séance où tous les députés et sénateurs sont réunis ?
Ce que je pense est que cette demande de procédure du procureur général ne nous paraissait pas fondée. Parce que la constitution stipule clairement en son article 166 que c’est plutôt le président de la république et le premier ministre en fonction dont la levée des immunités peut se faire par le congrès. Et une fois celles-ci levées, les concernés doivent démissionner. Donc, un ancien premier ministre que je suis n’est pas concerné par la procédure au Congrès. Voilà pourquoi les spécialistes en droit, particulièrement les constitutionnalistes, ont critiqué sévèrement cette proposition du procureur général, l’invitant à la retirer carrément. Certains collègues sénateurs n’ont pas hésité de s’opposer énergiquement à la proposition du procureur général cherchant à savoir les motivations profondes de cette requête. Nombreux ont vite compris que le procureur général voulait à tout prix s’assurer de l’aboutissement sans faille de la procédure concernant particulièrement le sénateur Matata. En effet, il est plus facile d’obtenir la levée de ses immunités dans une salle de six cent parlementaires, députés et sénateurs réunis, que dans celle de cent personnes composées uniquement de sénateurs dont on n’a pas le contrôle total.
Ce que je pense est que les sénateurs avaient totalement raison de s’y opposer. Parce que devant une violation flagrante de la constitution, contestée par ailleurs par l’opinion publique, le procureur général a dû revenir sur sa requête reconnaissant ainsi à l’assemblée nationale et au sénat la compétence de s’approprier la procédure de levée des immunités respectivement de députés nationaux et sénateurs concernés. C’était l’objet du deuxième réquisitoire daté du 12 mai 2021. Le procureur général n’avait pas tort de douter de l’aboutissement de sa requête parce qu’au cours d’une plénière durant laquelle la question a été débattue, les sénateurs ont remis en cause la compétence du procureur général près la cour constitutionnelle de pouvoir juger un ancien premier ministre, devenu sénateur, pour les actes posés à l’époque où il était en fonction. Pour les sénateurs, il y a un vide juridique parce qu’aucune disposition constitutionnelle n’indique la juridiction compétente pour juger un ancien président de la république ou un premier ministre honoraire pour des actes qu’ils ont posés alors qu’ils étaient en fonction. Certains sénateurs ont même suggéré que ce soit la Cour de cassation qui s’occupe du dossier, le premier ministre Matata étant devenu sénateur. Devant cet imbroglio juridique, les sénateurs ont décidé en plénière de renvoyer la requête du procureur général, jugeant ce dernier incompétent en la matière.
Ce que je pense est que l’échec de cette deuxième tentative procédurale a rechargé les énergies et batteries juridiques du procureur général en vue de trouver les voies et moyens d’atteindre son objectif principal, à savoir, la levée des immunités du sénateur Matata. C’est l’objet du troisième réquisitoire du 15 mai 2021 dans lequel le procureur qualifie la cour constitutionnelle de juge naturel du premier ministre. Donc, qu’il soit en fonction ou pas, la juridiction compétente devant juger le premier ministre est la cour constitutionnelle. Afin d’éviter de tomber dans les querelles du juridisme sans fin et ne pas donner l’impression que le sénat protège ses membres contre les poursuites pourtant justifiées, le réquisitoire du procureur est accepté. Une commission spéciale est constituée pour entendre le sénateur Matata et le rapport y relatif est présenté en plénière pour délibération et décision. Au terme d’un vote serré en date du 15 juin dernier, 49 sénateurs s’opposent à la levée des immunités du sénateur Matata contre 46 pour. Le réquisitoire du procureur général est donc rejeté. Que faut-il faire pour réussir absolument le coup ?
Ce que je pense est que la réponse à cette question se trouve dans le quatrième réquisitoire du 24 juin 2021 adressé toujours par le même procureur général au président du sénat. Un record jamais atteint par un autre premier ministre depuis l’indépendance. L’astuce est de trouver à tout prix un autre dossier pour contourner la plénière et obtenir la levée rapide des immunités du sénateur Matata. Ainsi, la requête du procureur sera déposée juste quelques minutes après la clôture de la session qui s’est effectuée le 28 juin 2021, vers 18 heures. Quelle synchronisation entre le parquet général et le bureau du sénat ! Pour bien réussir la mission, c’est un vieux dossier de paiement de créances de la dette extérieure effectué en 2012-13 qui est déterré. Dans sa requête, le procureur reproche à l’ancien premier ministre d’avoir, non seulement signé les protocoles d’accord avec des créanciers fictifs, mais aussi d’avoir ordonné des paiements et détourné près de 140 millions de dollars transférés aux créanciers fantômes en lieu et place des bénéficiaires réels qui sont pour l’essentiel des anciens propriétaires de biens zaïrianisés en 1973- 74. Cette fois, la condamnation est garantie. Saisi, le bureau du sénat, allant même au-delà de la demande du procureur qui sollicitait l’autorisation des poursuites dans son réquisitoire, comme il fallait s’y attendre, lève les immunités du sénateur sans pouvoir l’entendre conformément aux exigences en la matière. Auditionné au parquet général, le sénateur présente ses moyens de défense. N’ayant trouvé aucune preuve de détournement de fonds publics à sa charge, le procureur général décide du classement sans suite du dossier. Alors, que faut-il faire pour atteindre l’objectif recherché ?
Ce que je pense est que la réouverture inattendue du dossier Bukangalonzo constitue la réponse à cette question. Fatigué d’émettre de réquisitoires qui n’aboutissent pas, le procureur tente le tout pour le tout. Une invitation est envoyée en date du 16 juillet au sénateur pour comparaitre au parquet général près la cour constitutionnelle. Motif à signaler sur place. Cela sent le piège. Le sénateur, indisponible, se fait représenter par ses avocats qui découvrent que l’objectif de la comparution est le dossier Bukangalonzo. Les avocats s’étonnent et écrivent au Procureur général pour lui dire que leur client ne peut pas répondre à son invitation pour deux raisons principales. Premièrement, la plénière du sénat s’était déjà prononcée sur cette question par un refus formel communiqué au procureur par lettre n°0219/CAB/PDT/SENAT/MBL/EM/ pkg/2021 lui adressée par le Président du Sénat en date du 21 juin 2021. Deuxièmement, la levée des immunités est exclusive et concerne uniquement l’objet pour lequel elle a été demandée. La loi est donc de nouveau violée en vue d’atteindre l’objectif savamment programmé, celui de condamner le justiciable. Cela s’appelle tout simplement acharnement politique.
Kinshasa, le 28 juillet 2021