Ce que je pense est que le Dr Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, est une référence internationale. C’est l’unique Congolais à qui on a décerné jusque-là ce prestigieux prix depuis qu’il a été lancé à Stockholm, en Suède, il y a plus d’un siècle, le 10 décembre 1901. On ne cessera jamais de le féliciter pour avoir honoré, non seulement ceux dont il porte le nom, c’est-à-dire ses parents et ancêtres, mais aussi ceux à qui il a transmis ce nom, en occurrence, ses enfants, voire sa progéniture. C’est aussi un honneur, non seulement pour tous les Congolais, mais aussi pour l’Afrique. C’est un homme qui est rentré dans le patrimoine de l’humanité parce qu’il appartient désormais à la généalogie des hommes et femmes célèbres qui ont fait un don de soi au monde, mieux qui ont donné quelque chose de remarquable, bref d’exceptionnel, sur la terre.
Ce que je pense est que l’initiateur de ce prestigieux prix, Alfred Nobel, avait eu une idée géniale, celle de récompenser les efforts de ceux qui se consacrent de manière soutenue à l’amélioration des conditions de vie de la population dans le monde, conformément à la volonté du Dieu créateur. En effet, à sa création, Dieu ordonna à l’homme de transformer le monde et jamais le détruire. Et cette transformation ne peut se faire qu’avec le génie, la volonté et la détermination d’un certain nombre de personnes passionnées et engagées dans ce qu’elles font et ayant un sens élevé du « donner » comme Alfred Nobel. De nationalité suédoise, né le 21 octobre 1833 à Stockholm, il est notamment l’inventeur de la dynamite. Mort le 10 décembre 1896 en Italie, ce chimiste brillant lègue à l’humanité sa fortune de près de 31,5 millions de couronnes suédoises, (l’équivalent de près de 179 millions d’euros au prix de 2013) pour encourager les hommes au dépassement de soi au profit des autres, notamment dans le domaine de la paix, secteur dans lequel le Dr Mukwege a été primé.
Ce que je pense est que le prestige de ce prix procède, non pas de la hauteur du montant accordé aux heureux élus qui avoisine 1 million d’euros, mais plutôt du sérieux, de la rigueur et de l’objectivité dans le processus de son attribution. C’est un prix qui ne souffre presque pas de critique ou de contestation bien qu’il y ait des gens qui ont refusé de le recevoir, parfois pour de raison d’idéologie. C’est le cas notamment des deux écrivains, le Français Jean-Paul Sartre et le Russe Boris Pasternak ou de l’Allemand Gerhard Domagt en médecine. En effet, le processus décisionnel qui dure près d’un an franchit plusieurs étapes laborieuses. Au départ, il y a (1) les nominateurs qui sont habilités à proposer des candidats. Il s’agit des membres d’Assemblées nationales et de Gouvernement ou des membres de l’Académie royale des sciences de Suède. (2) Ensuite, il y a le Comité Nobel composé notamment de six membres élus du parlement norvégien ou de cinq membres de l’Académie royale des sciences pour une durée allant de trois à six ans. Après, c’est le tour de (3) l’Assemblée décisionnelle qui désigne les lauréats sur base de la pré-sélection faite par le Comité précédent. C’est notamment le Comité royal norvégien et l’Académie royale des sciences de Suède. Et enfin (4) il y a le Conseil de Comité composé des experts réputés dans les différents domaines de sélection. C’est ce Comité qui rédige le rapport sur les candidats retenus.
Ce que je pense est que si la candidature du Dr Mukwege est passée au travers des mailles de ce type de filets, c’est que les mérites de l’homme de Panzi ont forcé l’admiration du monde. C’est donc un homme exceptionnel. Il ne pouvait en être autrement quand on examine la complexité de l’environnement dans lequel il a su donner le meilleur de lui-même au profit des autres, particulièrement les femmes. Martin Luther King disait que tout homme peut devenir grand parce que tout homme a la capacité de « donner ». Mohandas Gandhi disait, en substance, que pour faire quelque chose de grand il faut savoir s’oublier au profit des autres. En effet, c’est parfois en période de guerre ou dans un environnement hautement risqué pour lui-même et pour sa famille dans l’Est de la RDC, que le Dr Mukwege a bravé les obstacles et est allé au secours des femmes victimes des violences sexuelles. En soignant les femmes violées et en s’occupant de leur prise en charge de manière holistique, ce médecin fondateur de l’hôpital de référence de Panzi à Bukavu, a su redonner le sourire et l’espoir à celles qui les ont perdus, a su rallumer le feu de l’amour dans les cœurs brisés ; mieux il a su redonner la vie à celles qui l’avaient totalement perdue. Et, il continue à le faire. A ce titre, ce spécialiste du traitement de fistules avait le droit d’être reconnu mondialement et récompensé à juste titre.
Ce que je pense est que les Congolais en général et les jeunes en particulier, doivent s’inspirer de cet homme né dans la ville de Bukavu, le 1er mars 1955. Fils d’un pasteur pentecôtiste, c’est en 1974 qu’il a obtenu son diplôme d’État à l’institut Bwindi de Bukavu, l’une de meilleures écoles de la république. Avec la qualité de son travail, il a su montrer au monde que les meilleurs peuvent venir de partout, quels que soient leurs continents, leurs races, et leurs origines sociales. Et qu’en réalité, chacun d’entre nous, dans son domaine de prédilection, est en mesure de choisir ce chemin difficile de l’élévation, du sacrifice et du bien, en prenant les risques qu’il faut pour braver des obstacles, parfois les plus farouches ou mortels, afin de donner au monde le meilleur de soi-même. Et que le monde, convaincu de votre don précieux, se décidera, malgré lui, à vous dérouler, où que vous soyez, le tapis rouge pour vous honorer de la manière la plus solennelle possible. Tel a été le cas de cet homme élancé au regard affable, issu de famille modeste qui, en plus du prix Nobel, a reçu de nombreux prix prestigieux comme le prix Sakharov et autres titres honorifiques, notamment de plusieurs grandes universités et fondations à travers le monde. Ainsi, ce gynécologue et pasteur pentecôtiste dont la renommée contraste avec son humilité et la simplicité de son bureau de l’hôpital Panzi où il m’a reçu le 14 mars dernier, est désormais logé à la même enseigne que les autres Nobel et grands du monde comme Anouar El-Sadate, Nelson Mandela, Desmond Tutu, Koffi Annan et Barack Obama.
Ce que je pense est que l’histoire des grands Hommes est une histoire de la passion et de la recherche permanente de l’excellence au profit de l’Humanité. Le Dr Mukwege est l’un de ces Hommes.
Conakry, 8 avril 2021.