Ce que je pense : Le M23, est-ce une agression rwandaise ou une rébellion inter-congolaise ?

Ce que je pense est que le M23 est un mouvement militaire localisé dans le Nord-Kivu et qui plonge ses racines dans le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) créé en 2006. Celui-ci était aussi un mouvement rebelle établi dans le Nord et le Sud-Kivu par le général Laurent Nkunda, très proche du gouvernement rwandais. Le CNDP était composé essentiellement de soldats d’origine tutsi appartenant autrefois au Rassemblement congolais pour la démocratie, RCD, en sigle. Ce dernier était un groupe rebelle congolais actif dans la partie orientale du pays et qui s’est battu contre les forces armées congolaises. Le mouvement fut soutenu et téléguidé par le Rwanda, l’un des acteurs majeurs de la deuxième guerre en RDC. L’objectif était de renverser le Président Laurent-Désiré Kabila porté au pouvoir quelques années auparavant par le même Rwanda. L’aventure militaire rwandaise n’a pas réussi grâce notamment à l’intervention musclée et aéroportée de l’armée zimbabwéenne dans la périphérie de la ville de Kinshasa. Comme on peut le constater, le Rwanda se trouve à l’origine de la création du RCD, voire du CNDP duquel le M23 tire ses origines. Ce dernier mouvement est né en mai 2012 avant d’être vaincu en novembre 2013 par les forces armées congolaises appuyées par les forces de la Monusco. Le M23 vient encore de réapparaître en novembre 2021, comme l’avait prévenu le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung en 2013. Les revendications du groupe sont restées à caractère politico-ethnique. Sa dénomination procède d’un accord de paix signé le 23 mars 2009 entre les rebelles du CNDP et le gouvernement congolais.
Ce que je pense est que le M23 n’est nullement une rébellion inter-congolaise. C’est bien une agression rwandaise larvée sous forme de rébellion pour des objectifs de politique économique. Comment peut-on comprendre qu’une rébellion ne naisse toujours qu’à la frontière avec le Rwanda ? Et lorsqu’elle est vaincue, ses troupes s’enfuient dans le même pays sans être inquiétées. Et ses dirigeants y sont bien accueillis. Le Rwanda, considéré comme base arrière du mouvement, a toujours nié agresser la RDC. Ce qui est diplomatiquement normal. Aucun pays au monde ne peut accepter ouvertement agresser un autre sans motif valable. Le faire ou l’admettre serait contraire aux exigences de la Charte des Nations Unies et du droit international qui régit les relations entre Etats. La stratégie généralement utilisée par les Etats agresseurs est de créer ou de soutenir une rébellion et de se cacher derrière. Cela apparaît politiquement correct lorsque le pays agressé ne dispose d’aucune preuve pour le dénoncer. Dans le cas sous examen, les évidences de soutien au mouvement rebelle sont telles que l’entreprise rwandaise est politiquement incorrecte, voire inacceptable. En 2012 – 2013, les Nations Unies ont mené des enquêtes laborieuses qui ont démontré sur base d’un rapport dûment établi que le Rwanda avait participé activement à la création du M23. Le Rwanda l’a aussi soutenu dans ses opérations militaires. En outre, la Monusco avait gardé pendant quelques mois dans ses installations certains militaires capturés sur le champ de bataille et qui se réclamaient de l’armée rwandaise. J’ai eu moi-même à les visiter à Goma alors que j’étais Premier ministre. Ils parlaient anglais et kinyarwanda. Aujourd’hui encore, les forces armées congolaises ont capturé deux militaires appartenant aux forces armées rwandaises. Le Rwanda les a reconnus, réclamés, récupérés.
Ce que je pense est la RDC se doit de comprendre que le Rwanda ne cessera jamais de créer des rébellions et/ou des groupes armés et de les soutenir tant qu’elle ne disposera pas de forces armées capables de garantir la sécurité de ses citoyens, de son territoire et de ses immenses richesses, particulièrement celles situées à l’Est. Le gouvernement congolais se doit de comprendre que les actions déstabilisatrices du Rwanda et des autres voisins comme l’Ouganda se justifient, vu de leurs côtés, parce que fondées sur des objectifs de politique économique, visant à améliorer les conditions de vie de leurs populations. Les rapports annuels de la Banque centrale du Rwanda renseignent par exemple que ce pays exporte chaque année plus de produits miniers et autres qu’il n’en produit. D’où vient le surplus ? De la RDC, naturellement. Il appartient donc à la RDC de rétablir la puissance de son armée comme elle l’était vers les années 70 et 80. Au cours de cette période, elle était considérée comme l’armée la plus puissante d’Afrique centrale. Elle était même sollicitée pour des opérations de défense des intérêts de plusieurs pays comme le Tchad et le Rwanda. N’oublions pas que les forces armées zaïroises (FAZ) de l’époque, commandées notamment par le général Mahele, ont plusieurs fois mis en déroute la rébellion du FPR contre le Rwanda du Président Habyarimana. A l’époque, il était inimaginable que le Rwanda ou tout autre pays puisse attaquer ou déstabiliser la RDC. Et pourtant, c’est le cas aujourd’hui.
Ce que je pense est qu’il est grand temps que le gouvernement congolais se ressaisisse. Oui, qu’il se ressaisisse pour l’honneur de ses citoyens, de ses héros nationaux, et de ses ancêtres. Les critiques, parfois les plus humiliantes fusent de partout, comme jamais auparavant. Certains Présidents et vice-Présidents africains n’hésitent pas de traiter publiquement le gouvernement congolais d’incapable et d’irresponsable. Son peuple est qualifié de danseur, jouisseur et non travailleur. La RDC se doit de s’investir pour construire une armée digne de son peuple. Une armée disciplinée et bien payée, disposant des troupes bien entraînées, des infrastructures de logement adéquats, des équipements appropriés, et des services de renseignements efficaces. Comme l’a rappelé le Président ougandais Yoweri Museveni, aucune armée ne viendra défendre l’intégrité territoriale de la RDC si ce ne sont les congolais eux-mêmes. Il n’a pas tort. C’est illusoire de compter sur les Nations Unies, encore moins sur les forces sous-régionales de la SADC ou de l’EAC. Cela fait plus de vingt ans que les forces de la Monusco sont en RDC et coûtent plus d’un milliard de dollars américains chaque année. Des fonds dépensés pour rien diront les radicaux ! Car en effet, les groupes armés pullulent et les rébellions naissent et renaissent au vu de la Monusco. C’est-à-dire, en définitive, qu’il n’y a que le pays lui-même qui peut venir à bout de tous ces mouvements qui créent l’insécurité et la désolation dans l’Est du pays.
Ce que je pense est que la voix de la RDC, mieux, celle de son peuple, ne sera entendue sur les questions de paix et de sécurité que lorsque le pays disposera d’une armée forte. Sinon, on criera au terrorisme et les maîtres du monde contre ce fléau ne réagiront jamais. Ils ne le font qu’en fonction de leurs intérêts géostratégiques. Pour mémoire, ils sont restés aphones quand le régime du Président Kabila a qualifié le groupe armé ADF de terroriste. Aujourd’hui encore, ils ne réagissent pas lorsque le gouvernement congolais entonne la chanson de l’agression rwandaise ou qualifie le M23 de mouvement terroriste. Ils risquent d’ailleurs de ne jamais réagir. Et pourtant, ils savent plus que quiconque qu’il s’agit bien d’une agression ! Parce qu’ils ont les moyens et la technologie nécessaires pour le certifier. Ce qui veutdire que tant que la diplomatie congolaise restera moins active comme elle l’est encore, les grands du monde, champions de l’Etat de droit et du respect du principe de l’intangibilité des frontières, toléreront l’aventure rwandaise comme ils l’ont fait par le passé.
Ce que je pense est que la RDC se doit de compter sur elle-même pour mettre fin à cette crise sécuritaire quasi-permanente qui plombe ses efforts de développement depuis plusieurs décennies. Sinon, les superpuissances lui diront de toujours négocier avec la rébellion ou avec les groupes armés alors qu’elles-mêmes ne le font pas. « On ne négocie pas avec les terroristes ou les groupes armés », claironnent toujours les porte-paroles des gouvernements de pays développés. En effet, on ne peut pas négocier avec des militaires de sa propre armée qui se rebellent pour des raisons sectaires et pour l’intérêt d’un autre pays ! Il faut donc disposer d’une vraie armée qui permet au gouvernement d’imposer son point de vue à la fois aux groupes armés et aux rébellions. Ce n’est que de cette façon que la voix du pays sera entendue par la communauté internationale ou sous-régionale.
Salt Lake City (USA), 29 juin 2022.