Ce que je pense est que l’issue des élections prochaines risque d’être une source de déstabilisation du pays. Des personnes non élues pourraient être massivement proclamées vainqueurs. Au grand regret des dizaines de millions d’électeurs. D’aucuns diront qu’en 2018, la situation a été la même, et pourtant il n’y a pas eu de troubles. La passation du pouvoir entre le président sortant et le président entrant s’est faite de manière pacifique. Et, la mandature présidentielle en cours tire à sa fin dans deux mois sans perturbations majeures. La plus grande différence entre les deux situations est que lors des élections précédentes, le processus s’est soldé par un changement du régime politique en place depuis 18 ans. Telle était la volonté de la majorité de la population. Même si les personnes proclamées n’ont pas été en partie celles élues par le peuple. La situation pourrait se présenter autrement à l’issue du processus électoral en cours. En effet, la gouvernance du pays depuis l’avènement du pouvoir actuel en janvier 2019 se révèle catastrophique : croissance économique insuffisante, chômage et prix intérieurs en hausse, dépréciation continue de la monnaie nationale, salaires de certains fonctionnaires de l’Etat et députés provinciaux non payés régulièrement, etc. Face à ce tableau sombre, la majorité de la population souhaite déjà le départ du régime politique en place qui n’a duré que cinq ans. La volonté du changement semble être plus forte qu’elle ne l’était en 2018. Les dégâts socio économiques de la gouvernance de ces cinq dernières années seraient-ils plus ravageurs que ceux de dix-huit ans précédents ? Le désespoir créé par cette mauvaise gouvernance est-il si fort ? Quoi qu’il en soit, tout porte à croire que le régime politique s’organise, au travers la Commission électorale indépendante (CENI) et la Cour constitutionnelle, à demeurer coûte que coûte au pouvoir pour un nouveau mandat de cinq ans. La bataille entre le peuple et le pouvoir s’annonce dès lors âpre et l’issue après le vote risque d’être fatale.
Ce que je pense est que le processus électoral, tel qu’il se déroule, ne présage pas la tenue de bonnes élections. Des nombreuses et flagrantes irrégularités se sont accumulées de manière volontaire dès le départ. Le Bureau de la CENI s’est constitué en violation de l’esprit et de la lettre des textes qui fondent sa crédibilité. Le président de la CENI a été désigné sans l’accord des églises catholique et protestante qui étaient parties prenantes dans le processus. Celles-ci dont les membres représentent plus de soixante-dix pourcents de la population se sont retirées définitivement de la structure. Plusieurs autres membres du Bureau de cette institution ont été désignés par le pouvoir par débauchage, c’est-à-dire, sans l’accord préalable de leurs responsables respectifs. En définitive, la CENI n’est pas une institution inclusive; elle n’inspire pas non plus confiance comme l’aurait souhaité la population. Quel sera alors le niveau de crédibilité des résultats qu’elle proclamera ? En outre, la loi électorale qui a été modifiée et promulguée par le Président de la République n’a pas pris en compte les principales recommandations de l’opposition devant garantir la transparence etl’équité du processus. Au contraire, des modifications visant à faciliter la tricherie et la fraude des résultats au profit dupouvoir ont été subtilement intégrées. Bien plus, le processus d’enrôlement des électeurs s’est fait de manière chaotique et opaque qu’il est difficile de croire aux chiffres des enrôlés publiés par la CENI. En effet, cette dernière, contrairement aux exigences en la matière, refuse catégoriquement l’audit du fichier électoral par un cabinet d’audit international compétent, avec la participation des membres de l’opposition, comme cela a été le cas au cours des élections précédentes. L’audit a été plutôt fait par des non professionnels congolais recrutés localement à la hâte pour les besoins de la cause. Enfin, la CENI refuse aussi de publier la liste des électeurs comme le recommande la loi électorale. Elle demande plutôt aux électeurs d’aller consulter les listes auprès de ses antennes disséminées à travers le pays. Pour finaliser le mécanisme de fraude électorale, la CENI vient d’opérer une mise en place générale de ses responsables dans l’ensemble du pays. Par ailleurs, le président de la Cour constitutionnelle et certains de ses juges ont été désignés en violation flagrante de la Constitution et des lois du pays ; l’objectif principal étant de s’assurer de la confirmation des résultats tels qu’ils seront publiés par la CENI, structure déjà sous contrôle total du pouvoir.
Ce que je pense est que l’on ne peut pas chercher une chose et son contraire à la fois. Organiser des élections pour permettre au peuple de se choisir de meilleurs dirigeants, et en même temps, dépenser énormément des ressources pour financer le fonctionnement d’une institution et la mise en œuvre d’un processus électoral dont l’objectif premier est de proclamer notamment des personnes médiocres. Ensuite, chercher à préserver l’unité et la cohésion nationale, et en même temps amplifier la tension entre le peuple et le pouvoir ; ce qui pourrait conduire à de vives protestations et manifestations après la proclamation des résultats de vote. En définitive, il appartient au pouvoir de se rappeler de l’objectif principal de ces élections : doter le pays des dirigeants capables de garantir la paix et la sécurité intérieures, de consolider l’unité du territoire national fortement menacée, et d’assurer le développement harmonieux et durable du pays. Et non de faire un simulacre de vote devant permettre la nomination de certains individus non élus et non compétents. Ce serait, inconsciemment peut-être, exécuter un plan aux fins de la destruction de son propre pays.
Kinshasa, le 31 octobre 2023.